Vous n’aimez pas les surprises ?
Alors préparez-vous au pire !
Cellule de crise, porte-parole, éléments de langage … Ces termes font désormais partie de notre quotidien. Crise économique, crise climatique, crise politique … Les enjeux ne manquent pas. Pourtant, seules les structures ayant déjà fait face à des crises semblent réellement prêtes à en affronter de nouvelles.
Qu’en est-il des autres ? Qu’en est-il des « petites » structures de quelques dizaines de personnes, voire moins ? Comment anticiper et se préparer au mieux, malgré des moyens humains, techniques et financiers parfois restreints ?
Pour en parler, nous avons rencontré Muriel Jouas, consultante en gestion et communication de crise depuis 25 ans.
Bonjour Muriel, pour commencer, pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre travail ?
Je suis consultante en communication complexe, j’interviens dans les entreprises pour anticiper et gérer les situations de crise, et les accompagner en termes de communication.
Mon intervention se déroule en 7 temps :
- Aider les entreprises à repérer les risques opérationnels et médiatique,
- Mettre en place un système de remontée des informations,
- Mettre en place un système d’évaluation de la criticité de la situation,
- Organiser la mobilisation de la cellule de crise,
- Faciliter le pilotage et la gestion de la situation,
- Préparer la communication,
- Et ne pas oublier l’analyse post crise, avec la démobilisation de la cellule de crise et la reconstruction de la confiance des tiers.
Prenons les étapes une par une, si vous le voulez bien. En quoi consiste exactement la phase d’analyse des risques ?
Il existe 11 catégories de risques.
Pour chacun, il faut se demander « est-ce que cela pourrait nous arriver, et si oui … Comment ferait-on ? ».
Par exemple, pour un restaurant, le risque majeur est l’intoxication alimentaire, puis l’incendie … Mais qu’en est-il des risques d’événements naturels, de vols, d’attentats, ou de radicalisation des personnels ? Finalement, tous les faits divers que l’on voit au JT sont des crises pour (au moins) une structure.
En tant qu’offices de tourisme, vous avez peut-être des sites magnifiques à proximité d’usines dites SEVESO (c’est-à-dire des usines à risques connus). Les avez-vous identifiées ? Etes-vous en contact avec elles en cas de problème pouvant affecter la venue des touristes, leur santé ou leur sécurité ? Ou encore, connaissez-vous les consignes de sécurités de vos prestataires et leur organisation en cas d’accident avec des blessés ou des morts ? En quoi en tant qu’office vous seriez mobilisé en cas de tels événements ?
Ces exemples illustrent des crises qui proviennent d’un tiers : on parle alors de crises exogènes.
Mais il existe aussi des crises dites endogènes, des crises internes. Elles surviennent du fait de ce que l’on appelle les « 3 P » : Personnes, Projets, Process.
Par exemples :
- Personnes : un collaborateur qui pirate vos systèmes informatiques et diffuse des contenus confidentiels ou scandaleux, ou quelqu’un qui vole dans la caisse
- Projets : Un incident survenu lors d’un événement organisé par l’office, comme l’inauguration d’un nouveau téléphérique … Qui chute !
- Process : Le vol ou la perte de données sensibles suite à une faille informatique.
Le spectre des risques est large !
Quelle est la différence entre ces types de crises, endogènes et exogènes ?
La différence est dans la responsabilité et la ponctuation de la crise. Dans une crise endogène, on cherche à savoir en quoi vous avez été responsable du déclanchement de la crise. Dans le cas d’une crise exogène, on évalue comment vous vous êtes mobilisés, à partir du moment où vous avez été informés.
La phase d’information semble essentielle …
Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Oui, elle est primordiale. La difficulté réside dans le lieu et le moment de déclenchement de la crise.
Bien souvent, mes clients sont prêts à se mobiliser quand l’information est déjà connue de la cellule de crise. Mais comment faire remonter l’information jusqu’à la cellule de crise quand l’événement se produit à 200 km ? Et en pleine nuit du vendredi au samedi … Car une crise démarre rarement le lundi à 15h30 juste sous votre nez !
Comment peut-on se préparer efficacement alors ?
C’est toute la difficulté de l’exercice : prévoir l’imprévisible. Il faut organiser la remontée de l’information par des correspondants de crise identifiés, avec des moyens simples comme un téléphone d’alerte et un système d’astreinte tournante. Et surtout, mettre en place une organisation adaptée aux moyens et à la culture de la structure … Sans créer une usine à gaz !
Comment évaluer la criticité d’un événement pour éviter de se mobiliser toutes les semaines ou passer à côté d’une vraie crise ?
C’est l’autre grande difficulté. Selon votre secteur d’activité, vous serez plus ou moins médiatisable et à risques. De plus, votre expertise et votre personnalité peuvent influencer votre perception de la criticité, la minimisant ou l’accentuant. Pour réduire ce facteur humain et subjectif, il y a deux clés : évaluer à plusieurs et élaborer collectivement une échelle de criticité.
Je recommande une échelle à 4 niveaux. Deux niveaux conduisent à une évaluation binaire (crise / non-crise), trois incitent à opter pour l’intermédiaire, et cinq sont trop complexes. Quatre niveaux d’évaluation sont un bon compromis.
Il faut aussi tenir compte des différences entre les acteurs : certains préfèrent les chiffres, d’autres les mots ou les couleurs. Créez donc une échelle en 4 niveaux avec un chiffre, un mot et une couleur.
Par exemple :
- Niveau 1 (blanc) : anomalie
- Niveau 2 (vert) : incident
- Niveau 3 (orange) : accident, ou accident grave
- Niveau 4 (rouge) : une crise
Le choix des mots doit se faire en équipe. Est-ce que le niveau 3 sera un accident, un accident grave, un incident majeur … Cela doit être décidé collectivement.
Enfin, l’évaluation doit prendre en compte plusieurs critères : le potentiel émotionnel, le potentiel médiatique, le contexte (forte actualité ou non), ainsi que la rareté ou la répétition du phénomène. Ces critères influent sur le niveau de crise. Par exemple, un incident mineur qui se produit trois fois en deux mois indique un dysfonctionnement plus important. Le premier incident pourrait être de niveau 1, mais sa répétition pourrait justifier une montée en niveau 2.
Mais comment tenir compte des événements variés que vous citiez dans l’analyse des risques ?
Pour chaque niveau d’événement, il faut définir une description générique et des exemples concrets.
Par exemple, pour un niveau 3, orange :
- Un accident grave, avec des victimes blessées, sans décès, suffisamment important pour dépasser les limites d’un département et entrainer une médiatisation régionale ou nationale.
- Exemples : accident de trains, de cars, incendie, inondations, vols de matériels ou de données.
Il faut faire ce travail pour chaque catégorie de risque, à chaque niveau : crises RH niveau 1, 2, 3, 4 ; crises SI, niveau 1, 2, 3, 4 ; crises naturelles, etc.
Quelles sont les clés pour réussir à faire face ?
- La première clé est d’avoir une équipe dédiée, appelée cellule de crise, avec des rôles et prérogatives clairs : contact crise, pilote de la cellule, greffier, porte-parole pour chaque public, etc. Toute cette organisation doit être réfléchie et formalisée en amont, dans un dispositif de plusieurs pages.
- La deuxième clé est la préparation mentale et émotionnelle. La gestion de crise est comme un sport de haut niveau : enjeux divergents, stress majeur, pression des parties prenantes (médias, élus, autorités, collaborateurs) … Cela nécessite d’être techniquement prêt et de savoir collaborer sous pression.
- La troisième clé est la préparation de la logistique et de la gestion : anticiper la salle de réunion, les accès, le standard (filtrage ou pas des appels, gestion des lignes directes), le confort (restaurant, hébergement). Moins il y a de problèmes techniques le jour J, plus on peut se concentrer sur la gestion de la crise.
- Ensuite, il y a la préparation de la communication. Savoir utiliser un question/réponse, élaborer des éléments de langage, écrire des position papers, publier des points de situation … Cela demande de l’entrainement, y compris pour la prise de parole sous stress ! C’est un exercice de style difficile.
- Enfin, il y a la phase de clôture et de démobilisation de la cellule : décider quand revenir à la normale, faire un « retex » (retour d’expérience), analyser les points forts et points faibles, ajuster le dispositif, recommuniquer si besoin auprès des publics cibles (y compris collègues et équipes internes).
Finalement, à quoi savons-nous que nous faisons face à une crise ?
Il y a 3 critères majeurs : l’émotion, l’incertitude et l’urgence.
L’émotion des témoins ou des victimes, l’incertitude ou l’instabilité de la situation avec ce terrible sentiment de perte de contrôle, et l’urgence ou la pression qui en découle. Parfois, il ne se passe rien de grave, mais ces trois paramètres sont là, comme dans le cas d’une rumeur.
Ma recommandation est donc de vraiment s’entrainer au pire pour réduire ces paramètres au maximum.
Vous nous avez partagé de nombreux aspect de la gestion de crise aujourd’hui. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, nous organisons un webinaire L’Œil de l’Expert le 5 décembre prochain où nous parlerons plus spécifiquement de la communication en cas de crise.
Sans tout dévoiler, pouvez-vous nous donner un avant-goût des grands thèmes dont nous parlerons ?
Dans la continuité de notre échange, je parlerai du choix des porte-parole, de la façon dont on peut prendre la parole sans aucune maitrise des événements, de l’urgence et du fonctionnement médiatique, de la place des réseaux sociaux dans les crises, de la posture à adopter, ainsi que des terrains minés et des aires sécurisées de la prise de parole en situation de crise.
Je me réjouis de partager ces sujets passionnants avec vous, en m’appuyant sur des événements récents, et je prendrai soin de répondre à un maximum de questions !
Merci Muriel, et rendez-vous le 5 décembre !